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Les Bouffons
1994 - 1989
R O U G E I N C A R N A T
La surface de ces corps de terre n'est pas la caresse lisse et voluptueuse offerte par la peau à notre regard, mais bien l'expression d'une résistance mettant à jour, dans l'espace même de notre niaise modernité, le texte inscrit au corps de la sculpture. Écriture nourrie en creux des nervures, blessures, craquelures du feu, intérieur qui nous ronge ; en relief des aspérités, boursouflures, contusions du tissu d'air et de lumière qui nous baigne. Corps pétrifiés, comme saisis ; corps marqués, grimés ; corps anonymes, symboliques ; corps sacrés, exhibés ; corps moulés et provocants ! Bouffons, entre rires et grimaces, pris dans les rets d'une double vulnérabilité et nécessité d'un rite de passage, exorciseurs de tous les temps, ambassadeurs de l'entre-deux, libérateurs du gai savoir ! Revenez-nous ! Chatouillez-nous l'inconscient ! Réveillez-nous !
Hypnotisés que nous sommes par l'hypervisibilité technicienne de notre contemporanéité, appareillés par notre nouvelle puissance d'ubiquité télématique, réduits à notre simple expression, surfacisés ! Revenez-nous des nuits obscures, des rêves archaïques profonds, des violences fondamentales, des sépultures aurignaciennes, du symbolisme conjoint de la fécondité et de la mort ! Revenez-nous, incarnats de terre et de feu, simulacres de boue, insolents guerriers de l'humain dans ce siècle de l'inexpressivité minimale, du culte du vide par d'immatériels iconoclastes ! Revenez-nous bouffons !
Et s'ils sont cet envers grimaçants de derrière le miroir, ce danger transgressif de tout pouvoir qui se renverse, cette terrible évidence de tout double absent, c'est qu'ici et maintenant, en terre et en or, ils nous révèlent d'un coup le peu de réalité dont nous sommes frappés en leur présence. Aïeux païens venus d'un autre temps, absurdes fossoyeurs d'un autre continent, fouisseurs de mémoires abolies d'une autre culture, revenants obscènes d'une autre scène, ils se posent en parfait décalage. Expressions fantomatiques de notre exterritorialité contemporaine, seraient-ils cette douloureuse conscience de l'Autre, de l'Exclu, de l'Ombre, de la Mort, qui nous hante et nous habite, resurgissant ici et nourrissant par cet étrange travail des corps la puissante mémoire ancestrale du pouvoir médiumnique de toute représentation ?
Evelyne Artaud, postface de l'ouvrage de Jeanne Fayard : Clément, sculpteur - Edifor 1994.