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Simulacres et hommes de boue
1989 - 1986
Au premier abord les sculptures de Clément peuvent sembler d'étranges indigènes, des hommes et des femmes sortis tout droit de mondes lointains, aussi bien dans le temps que dans l'espace. Ne prétendre voir dans ces sculptures grandeur nature d'êtres humains que la stricte réplique d'une réalité anthropologique serait certes infiniment rassurant. Pourtant rapidement on s'aperçoit que l'artiste se joue de cette réalité ou plutôt de cet imaginaire de l'ailleurs tel que notre vision occidentale le perçoit. Simulacres et hommes de boue : la gigantesque fresque en trois dimensions qui se dresse devant nous n'obéit pas aux lois du réel et de la raison. Ces hommes et ces femmes ne sont pas les copies figées et muettes d'un peuple disparu.
En leur compagnie, nous n'entrons pas dans un musée mais dans un monde bien vivant, prégnant, animé. De sculpture en sculpture, un dialogue étrange se noue insensiblement entre ces créatures et leurs spectateurs. Comment ne pas se laisser emporter dans cet échange surréel, comment ne pas succomber à l'envoûtement de ces visages peints, de ces corps à la peau fissurée, corps dont la posture défie souvent l'harmonie des lois anatomiques ?
Peintures, scarifications, signes et marques : le prétexte de la représentation du corps peu à peu laisse place à l'émergence d'un fascinant rituel. Couleurs vives, pures, jaune, rouge, bleu, rouge, blanc, masques, rien ici n'est le fruit du hasard ou d'une recherche purement esthétique. Ces sculptures ne sont pas « belles », elles ne nous réconfortent pas par l'artifice d'un idéal auquel on puisse aisément s'identifier. Ces peintures et ces masques sont les traces de rites intangibles, indicibles, effrayants.
Ces rites sont effrayants quand ils nous ramènent ainsi abruptement aux mystères de la Création, aux angoisses originelle de l'Homme. Ces rites sont apaisants quand ils nous rappellent que l'art permet à l'Homme de conjurer la peur de la mort. Par son œuvre proche des peintures rupestres, Clément affirme avec véhémence que l'Homme est un animal qui a le sens du sacré. Ses sculptures naïvement didactiques - ces groupes de « morts qui jouent aux vivants » - deviennent alors les symboles familiers d'une initiation nécessaires, dans la ligne éternelle des exorcismes créés par l'Homme pour survivre à son corps.
Éric Lamien, L'âme de boue, Gai Pied hebdo, 11 mai 1989